Un prix Nobel criminel de guerre

Prix Nobel ou criminel de guerre ? Les deux épithètes peuvent s’appliquer à Fritz Haber, né à Breslau, qui développe la synthèse de l’ammoniac lors de ses travaux à Karlsruhe (1894-1911), permettant ainsi de produire artificiellement des engrais pour l’agriculture et des explosifs. Muté en 1911 à l’Institut de chimie physique et d’Électrochimie de Berlin-Dahlem de la Société Kaiser-Wilhelm, Haber place entièrement son institut au service de la production de denrées mais aussi d’armes de guerre, à partir de 1914. Afin de percer le front qui reste stable, il élabore des propositions tactiques pour une attaque au chlore, dont il dirigera lui-même l’utilisation lors de la deuxième bataille d’Ypres le 22 avril 1915. Le chlore entraînait la mort par œdème pulmonaire. Lorsque sa femme Clara, née Immerwahr, également chimiste et une des premières femmes reçues docteur en Allemagne, apprend le 2 mai 1915 que le gaz a été utilisé, elle se tue avec l’arme de service de son mari. Haber voit cependant l’utilisation du chlore, déclaré gaz irritant, rendue légitime du point de vue du droit international par la convention de La Haye. L’opinion publique mondiale se situe entre les deux extrêmes : d’une part, les puissances de la Triple-Entente voient Haber comme un criminel de guerre, d’autre part, il est reconnu en 1919 comme le Prix Nobel de chimie de 1918 pour ses mérites liés à la synthèse de l’ammoniac. Bien qu’il ait abandonné le judaïsme pour le protestantisme en 1893 afin d’anticiper sur sa carrière dans les écoles supérieures, les nationaux-socialistes le chassent d’Allemagne. Haber abandonne ses fonctions en mai 1933, émigre fin octobre en direction de Cambridge et meurt, alors qu’il est en route, le 29 janvier 1934 à Bâle, d’un œdème pulmonaire.