Une société militarisée

Le nouvel Empire allemand avait été forgé par le fer et le sang sous la direction politique prussienne de Bismarck au cours de trois guerres entre 1864 et 1871. Après avoir repoussé le Danemark et neutralisé l’Autriche, c’est la puissance hégémonique qu’était jusqu'alors la France qui avait finalement été vaincue. L’Alsace et des parties de la Lorraine furent annexées par l’Allemagne et réunies en terre d’Empire d’Alsace-Lorraine. Or dans les faits, ce territoire ne formait pas un État fédéré comme les autres länder allemands mais était soumis au contrôle direct de Berlin. Il lui fut tout au moins accordé un peu plus d’autonomie à partir de 1911. Son économie et sa gouvernance sociale étaient alignées sur l’Allemagne, mais ses habitants continuaient d’être regardés par les autorités allemandes comme nationalement peu loyaux. À l’école comme au service militaire était imparti le rôle primordial d’éduquer les jeunes Alsaciens à devenir allemands. Outre les tensions générées entre les sentiments nationaux, allemand et français, il y avait aussi les conflits suscités entre l’administration civile alsacienne et les autorités militaires prussiennes. Ces dernières se comportaient trop souvent davantage comme une force d’occupation avec les Alsaciens, comme dans l’exemple de l’affaire dite de Saverne qui provoqua en 1913 le scandale et l’indignation.

Le grand-duché de Bade constitué en 1806 évolua à partir de 1871 en petit État libéral modèle au sein de l’Empire allemand sur les plans politiques et économiques. Afin de circonscrire l’influence croissante du parti catholique Zentrum au Landtag (diète d’État), les nationaux-libéraux et le SPD avaient établi ensemble des pactes électoraux au sein d’un grand bloc depuis 1905 déjà. Le mouvement ouvrier semblait ainsi se rapprocher davantage d’une certaine participation à la prise du pouvoir.

L’Allemagne elle-même se mua vers la fin du 19^e siècle en une puissance économique nationale fortement industrialisée qui, avec l’accession au pouvoir de l’empereur Guillaume II en 1888, mettait de plus en plus en exergue sa politique extérieure et réclamait de manière tapageuse sa prétention colonialiste à une « place au soleil ». La caractéristique marquante de la société allemande était sa structure autoritaire, son degré de militarisation élevé et son nationalisme exubérant. L’antagonisme entre, d’une part, une forme d’économie technologiquement moderne et organisée selon le modèle capitaliste, et, d’autre part, un système de règne politique désuet mit au jour dans la société de classes un quasi point de rupture. Or la modernisation économique expéditive de la société n’alla pas de pair avec une consolidation de son caractère civil. Bien au contraire, la glorification de la militarisation prenait toujours plus d’ampleur. À cet égard, les omniprésentes associations de vétérans de guerre et clubs paramilitaires perpétuaient avec d’autres groupements d’intérêts la propagation de l’idée d’armement militaire et d’expansion territoriale de l’Allemagne.

L’armement de l’Empire allemand multipliait également considérablement le nombre de régiments et de casernes de part et d’autre du Rhin. Karlsruhe accueillit le 14^e corps d’armée et Strasbourg le 15^e. Bien que la présence militaire dans le Haut-Rhin fût très forte du fait de la proximité immédiate de la France, l’ensemble de la région ne joua finalement qu’un rôle secondaire dans le plan stratégique de l’état-major prussien.