Les soldats

Kurt Hochstuhl

La mobilisation générale des grandes puissances européennes au début du mois d’août 1914 mit en branle toute une mécanique de guerre jusque-là inconcevable, tant sur le plan quantitatif que qualitatif, qui préfigura dès le début le caractère inédit de ce conflit en tant que guerre de masse. La représentation du soldat combattant à Verdun pendant la Première Guerre mondiale, toujours très présente dans l’imaginaire aujourd’hui, ne reflète cependant qu’une partie de la réalité militaire de l’époque, même si elle témoigne mieux que n’importe quel autre symbole de la cruauté et de l’absurdité de cette catastrophe originelle du 20e siècle. Les pertes les plus conséquentes ne furent toutefois pas enregistrées dans la guerre de position et de tranchées, mais au cours de la guerre de mouvement des premiers mois sur le front Ouest et l’ensemble du front Est, qui ne connut sur toute la durée de la guerre aucun immobilisme, ni d’ensevelissement d’armées entières dans des tranchées pendant de longs mois et presque pas de changements du tracé de la ligne de front. Dans la mesure où les états-majors d’armée s’intéressaient bien plus aux hommes encore en état de combattre qu’aux morts, aux blessés et aux disparus, il demeure difficile de fournir des chiffres précis. Au total, l’Allemagne déplora plus de deux millions de soldats morts, la France environ 1,4 million. Quelque 50.000 soldats alsaciens et 60.000 soldats badois perdirent la vie.

Parce que les chefs militaires allemands se méfiaient profondément de leurs soldats alsaciens, ces derniers étaient principalement envoyés sur le front Est, et non pas tant employés contre la France. Certains Alsaciens se soutiraient à la convocation de l’armée allemande en fuyant, en se rendant volontairement à l’ennemi et en s’engageant directement aux côtés des forces françaises. Une clôture électrifiée était destinée à verrouiller l’accès à la Suisse neutre. Mais ceux qui se battaient pour l’Allemagne se sentaient humiliés par la suspicion généralisée à laquelle ils étaient exposés. Cette déchirure nationale se ressentait même au sein de certaines familles.